TEST - Keeper (Xbox Series X|S, Xbox PC, Steam)

Un véritable bijou narratif

Par Jacques Germain
Un phare ce n’est pas qu’une tour de pierre et une lumière dans le haut, c’est une promesse d’orientation pour les gens perdus, une balise fragile plantée face à l’inconnu et surtout la mémoire d’un rivage qui tient tête à la mer. Lorsque Double Fine Productions transforme ce symbole en protagoniste, en un personnage en soi, j’ai tout de suite été attiré par le titre. Double Fine, studio connu pour ses audaces narratives et son amour des formes un peu biscornues (Psychonauts, Brutal Legend, Broken Age), reprend ici une autre recette étrange pour animer une idée simple et particulière : et si un phare se réveillait et partait à l’aventure ?


La prémisse de Keeper tient en peu de mots. On incarne un vieux phare abandonné qui se  réveille, accompagné d’un petit oiseau très particulier qui décide de se percher sur sa tête. Ensemble, ils explorent une île où la nature à repris les reines et où des villages de créatures à la Double Fine côtoient des forêts, des cavernes et des zones qui semblent venues d’un rêve. Le récit se déroule sans dialogues ; l’histoire est suggérée par les décors, les réactions silencieuses des protagonistes et des fragments d’énigmes que l’on découvre au fil du chemin. L’idée est de faire ressentir plutôt que d’expliquer.


Une jouabilité timide mais on s’en fou

Côté jouabilité, Keeper préfère l’émotion aux boutons de la manette. Ce n’est pas un jeu de réflexes ni de plate-forme exigeant, c’est avant tout une promenade narrative entremêlée d’énigmes et de moments d’interaction où la lumière du phare devient un outil — activer des mécanismes, révéler des chemins, repousser une présence ennemie. La progression est très linéaire ; l’expérience se vit lentement mais c'est pour le mieux. 


Pour certains joueurs, la simplicité des puzzles et la durée trop courte du voyage (autour de trois heures) peuvent laisser un goût de trop peu. Pour moi ce fût juste parfait, car trop c’est comme pas assez. Mais ce choix de design n’est pas un accident, j’en suis persuadé : il sert le tempo du jeu, qui mise tout sur la mise en scène et l’impact émotionnel instantané qu’un simple phare peut nous laisser ressentir. On s’attache à lui, on lit ses pensées et ses émotions. C’est honnêtement capoter comme sentiment.


Un monde à la Double Fine Productions

Le monde créé par Double Fine Productions ici est à la fois singulier et familier : spécial par son côté abstrait, familier par sa palette de couleurs vives et sa texture artisanale qu’on retrouve toujours dans leurs styles de jeux. On retrouve ce qui fait le charme visuel du studio — formes bizarres, architectures qui semblent sculptées par une main rêveuse, et une lumière traitée comme un matériau narratif. Chaque zone a sa personnalité, et la façon dont l’éclairage modèle l’espace rappelle que le phare n’est pas qu’un personnage mais l’instrument principal de la mise en scène. 


Un phare poétique

Le personnage principal (le phare) est une réussite. Muet, doté d’un regard (ou plutôt d’un faisceau) expressif, le phare réussit l’exploit d’être immédiatement lisible. Par son comportement et la manière dont il incline sa tête-lanterne, on lit ses peurs, ses hésitations et ses petites joies. Double Fine Productions joue la carte d’un spectacle de mime ou presque : quelques animations bien pensées, des réactions synchronisées avec le chant ou les mouvements de l’oiseau, et toute une panoplie de non verbal. L’oiseau, compagnon à la fois curieux et drôle, sert de complément : il est vocal, mobile, et permet de projeter des émotions que le phare n’exprime qu’en silence. Leur relation fonctionne parce qu’elle est construite en négatif — on devine ce que l’un pense à travers l’autre, et la combinaison des deux crée une dynamique attachante. 


Keeper n’est pas pour tout le monde. Sa linéarité, son rythme contemplatif et sa courte durée de vie en font une expérience qui se savoure plutôt qu’une valeur monétaire, vous savez comment on aime discuter du prix des jeux au Salon Gaming. Les joueurs cherchant une rejouabilité forte ou des mécaniques profondes risquent d’être frustrés. Mais réduire Keeper à une « promenade » serait passer à côté de son ambition réelle : faire ressentir, par la lumière et le son, la solitude, l’amitié et la transformation du phare. Double Fine Productions prouve encore qu’il sait prendre des risques narratifs — moins flamboyants que dans certains de ses titres plus anciens, mais tout aussi cohérents avec l’ADN du studio. 


En conclusion

Keeper est un bijou narratif, si on ose essayer de comprendre. Il n’a pas la prétention d’un open world foisonnant ni la complexité mécanique d’un AAA, mais il porte une idée forte traitée avec une richesse impeccable. Si tu acceptes d’échanger la profondeur du titre contre une expérience courte mais si poétique sur le plan esthétique et émotionnel, tu trouveras un petit chef-d’œuvre de narration muette. On dirait un vieux Charlie Chaplin du jeux vidéo, oui rien de moins pour moi.

Note finale

*La copie du jeu utilisée pour la réalisation de ce test, provient de l'éditeur, lequel n'intervient
aucunement dans le processus de création des critiques du Salon de Gaming de Monsieur Smith. 

Développeur : Double Fine
Éditeur : Xbox Game Studios
Plateformes : Xbox Series X|S (ce test), PC Xbox, Steam
Prix : 39,99$
Et disponible sans frais supplémentaires 
aux abonnés Xbox Game Pass


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